L'appartement

Publié le par Pomme Pidouwap

Un an que vous êtes dans votre 25 mètres carrés. L’appart finit par vous sortir par les yeux. Vous trouvez ça trop petit pour deux. Vous finissez par vous marcher dessus. Et puis il n’y a pas de place pour ledit lave-vaisselle dans la cuisine. Vous devenez de plus en plus odieuse. Vous manquez de place, d’espace et lui également. Vous ne supportez plus d’avoir à rembourrer vos poufs l’hiver avec vos vêtements d’été et vice-versa parce que vous n’avez pas la place de mettre une armoire dans votre chambre-salon. La moindre fringue qui traîne et c’est le dawa, le moindre verre sale, la moindre assiette ou bouquin et vous sentez que vos nerfs vont lâcher. Le canapé-lit pas replié en journée manque de vous coller un infarctus à chaque fois. Bref. Il faut que vous déménagiez. Certes le métro est à côté mais vous êtes prêts pour la banlieue du moment que vous avez de l’espace pour une armoire, un lave-vaisselle et deux pièces pour vous faire épisodiquement la gueule tranquille, ce qui arrive de plus en plus fréquemment.

Vous prenez la décision à deux. Il faut que vous déménagiez.

Vous cherchez l’appart seule : il vous fait confiance.  Le visitez seule : il n’a pas le temps. Courez après ses papiers : il est désordonné. Signez pour deux : il n’a pas pu se libérer. Le revisitez à deux, une fois le pas sauté : il a enfin pu s’arranger.

Première réflexion :

- Pas top le train quand même.

Vous êtes sur la défensive :

- C’est la banlieue putain.

Deuxième réflexion :

- C’est un peu loin de la gare tout de même.

Vous devenez un poil agressive :

- Ça te fera faire du sport.

Troisième réflexion :

- Quatrième sans ascenseur, c’est pourri.

Vous devenez carrément méchante :

- Ben si tu gagnais mieux ta vie on l’aurait peut-être notre ascenseur.

Quatrième réflexion :

- Pas si grand que ça le 38 mètres carrés, mais qu’est-ce que t’as foutu ?

Vous êtes prise d’une incommensurable envie de lui coller une beigne. C’est devenu récurrent. Le type n’a que des critiques à la bouche. Ce que vous faites, choisissez est toujours complètement naze. En général vous réussissez à hausser les épaules, mais cette fois-ci c’en est trop, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase :

Vous vous mettez à hurler, à bout de nerf :

- Mais en fait t’avais qu’à le choisir toi ! Tu commences à me souler !

 Il ne comprend pas :

- Hé, mais détends toi !

Vous retenez à nouveau à grand peine pour la beigne. Bien évidemment, vous n'êtes pas en état de supporter la condescendance mal placée. Vous claquez la porte, dévalez les quatre étages en courant avec une envie monumental de tout lâcher. Vous rendez compte un peu tard que vous ne connaissez pas le quartier et que vous n’avez aucune envie de vous perdre là tout de suite dans votre nouvelle ville, fâchée contre Peace cool.

Mais vous êtes énervée. C’est que vous vous êtes donnée un mal de chien pour le trouver cet appart. Vous vous êtes fait pourrir votre messagerie par des alertes, vous êtes devenue l’experte de seloger.com et une tueuse redoutable en coup de fil aux agences immobilière. Etes tombée sur des gens carrément désagréables. Vous êtes énervée. Avez couru aux quatre coins de la région parisienne pour ressortir des appartements déçue et penaude avec un Peace cool à peine investi.

Vous avez tenté de l’impliquer, vous avez tenté d’avoir un peu d’aide mais y avait pas moyen. Le type était occupé, préoccupé, stressé. Vous avez pris sur vous, avez serré les dents et vous êtes investie pour deux.

Bref, pendant trois mois vous avez connu des ascenseurs émotionnels et dépensé une énergie considérable pour vous trouver un appart plus grand que le premier. Avez même fait des concessions : votre cuisine ne fait plus 2 mètres carrés mais 3 et vous n’avez toujours pas de place pour votre nouveau fantasme, ledit lave-vaisselle. Il n’a que deux pièces et non trois, tant pis pour le bébé, de toute façon vous avez 25 ans, il n’en est même pas question, mais quand même, ça aurait pu.

Inutile donc de dire que vous vous attendiez donc à un minimum de gratitude. Un tout petit peu de reconnaissance.

Mais le problème reste le même : vous voilà à faire les cents pas devant l’immeuble. Vous laissez passer 5 minutes. Vous allumez une clope. Au bout de 10 minutes vous voilà à remonter les quatre étages, pour arriver devant la porte essoufflée, tout en réalisant que vous avez laissé les clés à l’intérieur. Vous faites fi de votre fierté. Laissez retomber la pression et sonnez.

Il vous ouvre en mode je suis le maître des lieux, sourire ironique aux lèvres, ce qui a le mérite de vous gonfler. Mais bien vite vous refreinez votre mauvaise humeur en vous disant que c’est pas brillant, que comme d’habitude vous avez tout gâché à tout mal prendre, et faites un effort incommensurable pour ne pas avoir l’air trop soulée. Il vous prend dans ses bras et vous oubliez. Vous lui lancez un « Je suis vraiment désolée… » parce qu’après tout c’est pas bien grave, de toute façon, plus le choix, c’est là que vous allez vivre, avec lui, vous avez signé pour deux. Il vous embrasse sur le bout du nez. Vous fondez.

Ca aurait pu se terminer la cette histoire. Mais non. A peine le bout du nez embrassé qu’il vous regarde comme s’il avait gagné au poker et qu’il prononce les mots de trop :

- N’empêche, tu prends vraiment tout mal, il est horrible cet appart.

Vous manquez d’exploser. Vous vous retenez à grand peine : après tout vous le saviez. Ne jamais, jamais, revenir en arrière quand vous pensez avoir raison. Ne jamais compter sur la bonne foi des autres. Ne jamais prêcher le faux pour avoir le vrai. Alors que vous vous attendiez à « sois pas désolée, t’as fait de ton mieux » ou « t’inquiète c’est cool, moi je n’ai rien à dire j’étais pas là » bref, un truc qui partage la responsabilité du choix de  l’appart, vous voilà seule dépositaire de la culpabilité. Vous ne pouvez plus rien faire, vous venez de vous excuser, et il vient de vous pardonner. Vous vous rendez compte que vous venez de vous faire avoir en toute beauté et prenez la décision de ne plus jamais faire l’aveu d’une quelconque faiblesse lors de vos prochaines engueulades.

Ça y est votre relation est bel et bien foutue, il vient de vous manipuler. Vous le savez, il le sait, les bras de fer viennent de s’instaurer.

Mais trois ans tout de même. Trois ans ce n’est pas rien.

Et puis il vous apporte toujours votre café au lit, vous connait comme personne ne vous connait, sourit de vos défauts, vous rassure le soir quand vous faites vos crises d’angoisse, répond à vos coup de fil incessants, et continue de vous trouver belle le matin, malade. Alors vous vous convainquez que ce petit détail de bras de fer c’est quedalle comparé à votre relation de trois ans. Il est l’homme de votre vie, le futur de père de vos enfants.

Et puis trois ans. Trois, ans, c’est vraiment pas rien.

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