le plan de travail

Publié le par Pomme Pidouwap

Ça y est vous arrivez aux quatre ans. Quatre fois votre relation la plus longue. Un sacré record pour vous. Personne ne pensait que vous vous caseriez pour de bon. Vous n’êtes pas mariée, mais vous avez acquis ce statut remarquable de meuf indécasable. Vous ne dites plus « mon copain » mais « mon mec ». Quand vous faites des démarches administratives vous mentionnez toujours votre « conjoint ». Quand vos copines ont besoin d’un conseil sentimental ou culinaire, c’est vous qu’elles appellent. Vous faites partie du cercle très fermé des nanas surmaquées. Celles qui ne regardent plus les autres mecs. Celles qui peuvent sortir démaquillées le dimanche matin pour aller acheter leur pain. Vos copines célibataires admirent votre patience, votre persévérance, vos parents sont soulagés, bref, tout va pour le mieux au niveau statut social.

Par contre dans votre couple ça commence sérieusement à battre de l’aile. Vous le savez, il le sait. Les bras de fer commencent à se multiplier, vous ne vous excusez plus, il ne vous pardonne plus, et comme prévu, vos deux pièces vous servent fréquemment à vous faire la gueule, tranquille. Mais vous l’aimez quand même malgré tout comme un membre de votre famille et surtout, vous avez l’impression qu’il vous aime encore.

C’est un dimanche, cependant que vous avez commencé à vous poser de sérieuses questions sur la faisabilité du truc.

Ça fait un an que vous êtes installés. Un an que vous réclamez à cors et à cris un plan de travail. Faire la cuisine sur la machine à laver, ça ne peut plus durer. Peace Cool vous l’a promis, vous étiez ravie. Vous aviez pensé sur le moment que cela se ferait dans les quinze jours, et puis voilà : ça fait un an. A sa décharge, lui s’en fout, il a arrêté de manger ce que vous prépariez, trouvant votre bouffe dégueulasse et préférant les pizzas surgelées. Au début vous l’avez mal pris et puis au final, vous vous êtes dit que c’était pas bien grave, vous mangeriez pour deux.

Vous étiez tellement motivée que vous êtes même allée l’acheter seule, galérant comme une dératée dans les transports. Bref, il ne reste plus qu’à l’installer.

Ce dimanche-là, vous n’avez rien de prévu, lui non plus, vous avez vu là l’occaz parfaite pour lui faire part de votre envie. Vous prenez votre voix la plus mielleuse (celle qui marchait il y a deux ans, avant que vous ne vous installiez ensemble) :

- Dis…

- Quoi ?

Vous le saviez, quand vous l’interrompez pendant une partie de World of Warcraft, il est jamais au top de sa bonne humeur. Mais vous vous accrochez :

- Tu me fixes le plan de travail, steuplé ?

Vous n’avez toujours pas abandonné votre voix mielleuse pour ne pas avoir l’air péremptoire. Vous le savez si tel est le cas, vous n’avez aucune chance face à lui. Vous voulez lui montrer qu’il vous fait une magnifique faveur. Mettre en avant sa virilité.

Soupir excédé de sa part :

- Là, tout de suite ?!

« Non dans trois ans connard ! » Vous vous ressaisissez à temps :

- Ce serait bien non ?...

Et là, il vous sort le truc le plus improbable qu’il vous ait jamais sorti :

- Et tu peux pas le faire toi ?!

Monter un meuble Ikea vous file des migraines, scier, poncer, c’est pas votre truc, et visser ne vous a jamais réussi. Vous le savez, il le sait. Dès le début de votre relation c’était un fait, il était le bricoleur, vous étiez sa pompom girl.

Vous dites LA phrase à ne jamais dire :

- Ben c’est toi le mec…

Réaction immédiate :

- Et ?

Vous vous mettez à bredouiller, vous êtes décontenancée par autant de goujaterie de la part de votre moitié :

- Ben heu… C’est ton rôle quoi…

- Et toi t’es pas capable de tenir une perceuse c’est ça ???

- Heuuuu…

- Faudrait quand même que t’apprennes à te débrouiller seule nan ?

Là, vous faites machine arrière. Totalement. Vous lui dites de laisser tomber, il ne vous écoute pas et tandis qu’il perce rageusement les trous pour fixer le plan de travail, en prenant bien soin de soupirer toutes les trente secondes, vous n’arrivez pas à vous dire que vous avez gagné ce bras de fer.

Votre relation est en train de mourir, c’en est fini. Vous le savez et il le sait. Il ne vous voit plus comme sa petite chose fragile. Il vous voit comme monsieur bricolage ou même pire comme un déménageur tatoué capable de soulever un plan de travail et de le fixer au mur. Il ne vous couve plus, ne vous protège plus et n’a même plus envie de vous faire plaisir. Il a oublié que vous faisiez 45 kilos toute mouillée, et vous voit comme l’emmerdeuse de service qui vient de l’interrompre pendant sa partie de jeux vidéos. Son regard sur vous a radicalement changé. Et lorsque vous vous regardez dans ses yeux, ce que vous y voyez ne vous plait absolument pas. C’est là que vous vous dites que ce n’est qu’une phase. Une phase de merde comme tous couple en vivent tous les jours. Vous ne vous rendez pas encore compte de la gravité du truc. Vous avez encore la naïveté de croire que cela ne peut que s’améliorer alors que cela ne fait que s’empirer.

Et quand tout fier, parce que son humeur a eu le temps de changer, il vient vous chercher pour vous montrer le plan de travail, vous êtes obligée de faire semblant d’être ravie alors que cette connerie qui trône au milieu de votre cuisine est devenue le symbole de votre couple en train de crever.

Il retournera à sa partie de jeux vidéos. Vous vous poserez quelques questions mais ça ne durera pas bien longtemps. Vous êtes surmaquée. Il n’est pas parfait mais vous non plus. Quatre ans c’est énorme, on ne lourde pas tout ça pour un plan de travail, pas vrai ?

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